ESPRIT ES-TU (ENCORE) LÀ ?
ÉDITO
Laurent Desjars
5/7/20255 min read


Dans le numéro précédent, je me demandais, avec un brin d’ironie, si l’IA était une grosse menteuse. Je promets de vous donner les réponses très prochainement, si le cours des événements n’a pas été complètement bouleversé d’ici là.
J’écris aujourd’hui cet article pour évoquer un sujet tout à fait différent. Si vous lisez ces lignes vous travaillez, comme moi, dans la communication. C’est un sujet vieux comme le monde, qui a démarré au fond des grottes, autour des feux, sur les murs des temples égyptiens, sur la place des villages pour répondre à des questions importantes comme la transmission, le partage et le contact entre les êtres humains. Isaac Newton l’a dit avec beaucoup d’esprit : « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts ». Continuons à les construire mais faisons-le avec esprit.
Dans les années 90, le film Ridicule de Patrice Leconte m’a rappelé à quel point l’esprit était un miel délicieux pour le cerveau. Je me souviens d’un moment du film où le héros, un aristocrate venu du pays de la Dombe, se retrouve à Versailles pour obtenir de la part du Roi le financement de l’assèchement des marais sur ses terres. Il se retrouve à Versailles, parmi les courtisans. L’un d’eux s’adresse à lui et dit à la cantonade : « Il est moins sot qu’il en a l’air », à quoi le héros, Ponceludon de Malavoy répond : « C’est toute la différence entre nous, monsieur ! ». Plus tard, le même Ponceludon qui, sur les conseils de son mentor, souhaite séduire la comtesse de Blayac pour obtenir une audience auprès du roi, répond aux mises en garde de Jean Rochefort : « Quand une femme vous méprise, Monsieur, c’est qu’elle commence à penser à vous. »
La littérature classique est traversée par les fulgurances mais j’ai été sensible aussi aux bons mots de Sacha Guitry quand il dit par exemple « L’esprit ne consiste pas à avoir raison, mais à avoir du style en ayant tort. », ou encore : « Il y a des gens qui parlent, qui parlent - jusqu'à ce qu'ils aient enfin trouvé quelque chose à dire.” Et que dire quand on voit ses pièces ou ses films dans lesquels la subtilité des dialogues s’inscrit dans d’ingénieuse dramaturgies ?




Mais l’esprit s’est répandu dans la culture populaire avec Michel Audiard et ses dialogues semés de « punchline » comme on dirait communément aujourd’hui. Parmi tant d’autres, j’ai retenu « Quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute » ou « Les gens qui n'aiment pas le vélo nous ennuient, même quand ils n'en parlent pas » mais j’aurais pu en choisir des dizaines d’autres. Plus proche de nous, j’ai pris plaisir à lire Jean-Marie Gourio et ses Brèves de Comptoir dont l’une d’elles est demeuré dans mon souvenir jusqu’à aujourd’hui, même après trente ans de lecture : « Les satellites, maintenant, ils arrivent à voir une balle de ping-pong. Moi, je m’en fous, je joue dans le garage ». Et même si nous connaissons les répliques du film par cœur, je finirais par « Le Père-Noël est une ordure » qui reste dans nos mémoire grâce à des répliques d’une finesse rarement égalées depuis. Je pense à Pierre qui dit à Thérèse : « Je n’aime pas dire du mal des gens, mais effectivement elle est gentille. »


Jacques Séguéla avait dit en 2006 que la communication d’aujourd’hui (sous-entendu celle de demain) sortait des tripes et pas des neurones. La raison l’a emporté mais un poil d’esprit n’a jamais nui à une campagne. Que ce soit de la publicité pour le grand public ou de la communication corporate, que ce soit de la communication digitale ou de l’événementiel.
Je finirais par là où j’ai commencé cet article : l’intelligence artificielle.
Vous comme moi, nous n’y pouvons rien, nous utilisons ce fabuleux outil tous les jours, malgré ses défauts, malgré ses erreurs, malgré le fait qu’il nous « vole » un peu de nous-même, malgré son influence négative sur notre environnement. Mais chat GPT, comme les autres, manquent cruellement de cette petite étincelle que l’on appelle l’esprit. Cette machine ne m’a jamais proposé une signature qui me plaisait, ni écrit une ligne que je n’ai pas corrigée. Il est impossible de décrire ce que nous voulons et d’entrer tous les paramètres pour obtenir ce que nous voulons avec précision. L’esprit est le fruit d’une éducation, d’un long apprentissage, il est lié à une culture, à une manière d’envisager le monde et de vivre la société. Il est lié à notre environnement social, à notre mode de vie. A nos interactions avec les autres.


Et même les agences de publicité ont fait preuve d’esprit en élaborant la campagne Lactel dans laquelle un enfant demandait à son père comment on faisait les bébés ? Ou bien celle de la Française des Jeux avec son fameux « Au revoir Président ! » Ou encore la publicité dans lesquelles les marmottes emballaient les plaquettes de chocolat dans les usines Milka…




N’ayez pas peur, en tous les cas, chat GPT a encore de gros sabots aux pattes. J’ai essayé. Et essayé encore et il s’est contenté de décrire ce que j’appelais l’esprit sans parvenir à comprendre ce que je voulais lui faire comprendre. Ce n’est pas seulement une histoire de vocabulaire, de définition, c’est beaucoup plus subtil que cela.
Ce n’est sans doute qu’une question d’années, de mois ou de semaines - de jours ? - la machine y parviendra peut-être, sans doute, à un moment, nul ne le sait. En attendant, si vous invitez chat GPT à un dîner, vous risquez de vous ennuyer.