INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : CE N’EST PAS LA RÉPONSE QUI COMPTE, C’EST LA QUESTION

11/13/20235 min read

Une nuit, à défaut d’avoir fait un rêve, mon esprit s’est perdu dans d’obscures réflexions au sujet de l’intelligence artificielle et tout le battage médiatico-dînatoire autour de ses bienfaits et de ses méfaits, à court, à moyen et à long terme. Ce n’est ni la peur ni l’excitation qui m’ont tenu éveillé ce jour-là, c’est simplement que je dors assez peu et qu’il est quasi impossible d’éteindre son cerveau, de le faire taire, de lui intimer l’ordre d’arrêter de faire tourner les idées comme dans une machine à laver en mode essorage.

Le matin, j’avais parlé avec Olivier, un concepteur-scénographe-qui-fait-beaucoupdechosesparcequ’ilal’expérience, que je connais depuis un certain temps et qui fait de bien jolies images avec son imagination mais aussi avec l’imagination des autres… Nous avions évoqué tous les concepteurs et scénographes, les directeurs artistiques et autres graphistes qui co-signent aujourd’hui leurs créations avec l’intelligence artificielle, comme si elle donnait le pouvoir de transcender leur travail, comme si elle conférait une certaine pertinence à toutes leurs productions intellectuelles, comme s’il s’agissait d’un label aussi puissamment évocateur qu’une AOP.

Et c’est vrai qu’en scrollant sur Linkedin, en furetant à droite et à gauche sur les réseaux sociaux, en lisant les articles de newsletter de la communication, en écoutant les agences à droite et à gauche, nous avons ce sentiment étrange d’une histoire qui se répète… Après Second Life, le Métaverse. Après l’intelligence artificielle, le déluge ?

Il faut tout de même se montrer lucide : il ne s’agit pas de la même démarche, ni du même sujet. Nous entrons de plain pieds dans un monde inconnu à l’inverse du Métaverse qui a fait pshiiit et flop pour des raisons que nous pourrions analyser très facilement et notamment la première d’entre elle : qui a envie de se balader dans des décors d’une laideur à vous piquer la rétine ?

Personne.

En tous les cas, PLUS personne.

L’intelligence artificielle, c’est tout à fait autre chose. Elle a avalé le passé, l’a emmagasiné grâce à une mémoire qui surpasse de très loin la nôtre. Elle a avalé ce que le programmeur lui a intimé d’avaler avec sa sensibilité, ses lignes culturelles, les contours de sa propre personnalité. Et c’est toute la problématique de l’intelligence artificielle : la réponse dépend du temps que l’on consacre à l’élaboration de la question.

Nous évoquons le sujet avec Olivier. Il me dit : « l’IA (MidJourney) produit effectivement de belles images, un peu froides, certes, mais avec une rapidité qui dépasse l’entendement. Il m’en envoie immédiatement, me montre, commente… »

Les images sont… belles. Sans commentaires au bout du fil, j’aurais trouvé qu’elles manquaient de quelque chose, un peu d’âme, peut-être, je n’aurais su dire sur le moment, face à mon écran. C’est comme si je visitais une galerie d’art californien. Il y a cependant de belles idées mais Olivier me dit que l’on obtient ce genre de résultat avec un bon brief. Tout simplement. Trouver les bons mots, les mots qui vous permettent d’orienter l’IA vers l’image que vous avez dans la tête, nécessite d’avoir une excellente culture, une connaissance de l’histoire de l’art, de l’architecture, des courants et des idées, si l’on souhaite parvenir à de tels résultats. Facile pour l’IA de chercher dans un sous-ensemble de l’ensemble de sa mémoire. Difficile d’obtenir un résultat comme celui de la photo ci-dessous…

« Voronoï » me dit-il. Comment ? Olivier répète. C’est l’un des mots clé qui a permis de concevoir cette image (pas la voiture, mais les structures polygonales en fond). Sans cette clé, pas de structures polygonales destructurées à l’esthétique particulière. Qui connaît Voronoï ? Ou Thiessen ? Autre exemple : Si vous souhaitez des structures comme celles qui sont en dessous, mieux vaut connaître Mendelbrot, le père des fractales.

Nous sommes d’accord sur beaucoup de points, Olivier et moi. Les images doivent exprimer une intention, provoquer une émotion, transmettre une idée et encore plus fort en scénographie : pouvoir s’appliquer à LA réalité : une réalité physique et une réalité budgétaire. L’expérience et la capacité à se déplacer restent les meilleures alliées d’un événement réussi.

Alors ? Midjourney, Chat GPT et consorts sont-ils (ou elles) une avancée bénéfique ou un sort jeté sur le commun des mortels ? Pour ma part, j’y vois une opportunité pour tous ceux qui possèdent une fibre artistique mais qui n’ont aucune technique. Qui ne savent pas manier un crayon ou se servir d’Illustrator et autre Photoshop ?

La scénographie, quant à elle, se confronte tous les jours aux mètres carrés, aux hauteurs de plafond, à la qualité des sols ou tous les détails que l’on ne voie pas forcément.

Et puis une idée, il faut la désirer. Il faut en avoir l’intention, ce que ne possède pas encore la machine. Et puis une machine, si on la débranche, elle se tait. Quand on le décide…

Nous avons encore une bonne longueur d’avance. Prenons l’exemple des voitures autonomes… Nous n’y sommes pas encore.

Seulement, moi, j’ai mon permis.

Laurent Desjars