L’ÉVÉNEMENT EST AUSSI FAIT POUR CRÉER VOS PROPRES MYTHES

ÉDITO

Laurent Desjars

12/14/20255 min read

Quand on se penche sur la création d’un événement festif, on réfléchit à un concept, on cherche des idées, un thème, des artistes, on recherche la précision de la logistique, la justesse de la production, des animations, on s’attache à la gastronomie mais finalement, tous cela n’a qu’une importance relative au regard de l’intention et de la sincérité que l’on met dans sa démarche. Je m’explique.

Nous avons toutes et nous avons tous des souvenirs de fêtes mémorables, de moments magiques, de subtiles alchimies entre l’enchaînement des événements et ce qu’attendaient les invités. Nous avons tous des souvenirs de réveillons de Noël ou de Saint-Sylvestre qui se sont transformés, tout naturellement, en quelque chose de plus fort, de plus grand qu’une fête traditionnelle. Nous avons tous en mémoire des réunions d’amis, des réunions d’entreprise qui ont glissé sans que personne ne s’en aperçoive, ni ne le décrète d’ailleurs, vers un moment de grâce.

Ce n’est pas un fruit qui tombe soudain de l’arbre comme un joli fruit mûr. Ces sublimes enchaînements datent, à mon humble avis, des premiers temps où Sapiens Sapiens avait suffisamment de conscience pour se dire « Tiens, et si on fêtait ce moment en mangeant quelque chose qui sort de l’ordinaire, en buvant des trucs qui font rire et en faisant des choses que l’on n’a pas l’habitude de faire ? ». Pure conjecture, bien entendu.

En revanche, dès le IVème siècle avant Jésus-Christ, on trouve la trace de ces instants rares, de ces alignements d’étoiles. En 416 av. JC, le jeune Agathon, poète tragique athénien, remporte le concours théâtral des grandes Dionysies, une pièce jouée devant trente mille Grecs. Agathon organise une grande fête de sacrifice de victoire avec ses choreutes (membres du chœur dans la théâtre grec) qui se termine en beuverie. Rien de bien original. Le lendemain, il donne à nouveau une réception, plus intime, plus calme, et convie des personnalités importantes pour fêter son succès. A l’initiative de Phèdre (ça vous rappelle quelque chose ?), chacun est invité à faire un éloge d’Éros. Le Banquet de Platon est l’histoire de cette longue nuit lors de laquelle Socrate tint un rôle central et servit de porte-parole à l’auteur. Bref, ce fut une soirée institutionnelle qui devint l’un des moments fondateurs de la pensée européenne.

Impossible de passer à côté de la chute du Mur de Berlin en 1989 qui fut bien davantage qu’un rassemblement politique et citoyen. Dans la nuit du 9 novembre 1989, la frontière s’ouvre. Sans annonce, sans programme. Des ondes positives s’emparent des berlinois. Très vite, la foule s’embrasse. Des radios diffusent de la musique, des groupes improvisent des concerts sur des camions, des pianos apparaissent sur les places. On boit, on danse, on monte sur le mur encore debout, mais plus pour très longtemps. La nuit entière devient une célébration spontanée, collective, incontrôlée mais belle.

Comment ne pas vous citer le premier Woodstock à la fin des années 60 au siècle dernier ? En août 1969, un festival payant devient incontrôlable avant même d’avoir commencé. Trop de monde, trop vite. Dès les premières heures, les clôtures cèdent, la billetterie disparaît, le dispositif ne tient plus. À cet instant, les organisateurs font un choix impossible aujourd’hui : ne pas forcer, ne pas reprendre la main, laisser faire. Ce qui aurait pu tourner au chaos se transforme alors en autre chose. Le public ne subit plus l’événement, la boue, la pluie, tout devient beau. Les artistes jouent malgré les retards et les Rolling Stones regretteront longtemps d’avoir décliné l’invitation. La foule s’organise, partage, vibre à l’unisson et ce n’est pas une caricature. Woodstock est devenu un mythe parce que tout ce que l’on a raconté à son sujet était vrai.

Et pour finir ma petite liste, je ne pouvais pas passer à côté des deux Coupe du Monde de football remportées par la France. La première en 1998 devant une France qui n’en croyait pas ses yeux, avec cette délicieuse excitation des premières fois. Une correction en finale, le 12 juillet, contre un Brésil mythique, avec deux buts de l’incroyable Zinédine Zidane et un but d’Emmanuel Petit. Et un million de personnes sur les Champs-Élysées qui se prenaient dans leurs bras. 20 ans plus tard, en 2018, le 15 juillet, c’était la seconde étoile sur le maillot de l’équipe de France. Une finale gagnée haut la main après un parcours exceptionnel dont une victoire incroyable contre l’Argentine. Six buts dans un match de Coupe du Monde, c’est rare, mais 4 buts de la France c’est extraordinaire. Paul Pogba, Antoine Griezmann et Kylian M’Bappé ont été les héros de ce match. Et un million de personnes sur les Champs-Élysées qui se prenaient dans leurs bras. 20 ans après, pour une fête « improvisée » aussi réussie que la première.

En matière de fête, le calcul n’a jamais été un bon calcul. La fête est pourtant un sujet sérieux, mais un sujet sérieux qui ne peut être codé, qui n’as pas de théorème ni de Grande Loi. Réussir un rassemblement, réussir à faire sourire le destin, c’est une histoire d’intuition, une histoire de cœur, une histoire de sincérité, une histoire d’envie et une histoire de public... C’est pour lui que nous faisons des événements. C’est lui qui va les vivre et qui va les inscrire dans son souvenir. Ce qui compte, c’est son état d’esprit, sa « sociologie », le contexte général. Dans un brief, ce devrait être la partie la plus dense, la plus abondante, la plus précise. Pour le reste, du cœur et de la sincérité, ajoutés à un brin d’intuition, suffiront à créer vos « mythes » en interne.