L’HEURE DES CONTES - ÉPISODE 2

LE BANQUIER LE PLUS MALICIEUX DU MONDE

12/9/20255 min read

En événement comme dans la vie quotidienne, les gens aiment qu’on leur raconte des histoires. Des histoires qui les font rire, des histoires qui les émeuvent, des histoires qui les secouent, des histoires qui les rapprochent.

De nombreuses histoires ont jalonnées ma vie professionnelle et j’adore les histoires. J’adore que l’on m’en raconte mais j’aime aussi les raconter. J’ai fouillé ma mémoire à la recherche de quelques anecdotes qui présentent un intérêt. Parmi les dizaines et les dizaines d’événements auxquels j’ai participé, que j’ai conçus et dirigés, j’ai exhumé des dizaines de drôles d’histoires et des histoires drôles, des petites aventures et de grandes mésaventures, des personnages rocambolesques et des situations improbables.

Vous en avez découvert une dans le numéro 18, voici la seconde qui parle de la dernière prise de parole du DG de CASA. C’était il y a longtemps...

Le banquier le plus malicieux du monde ?

Il y a quelques années, je travaillais pour LCL qui venait tout juste d’intégrer le groupe Crédit Agricole. Je surfais sur un événement exceptionnel, une remise de prix extraordinaire pour les commerciaux « entreprises » de la banque. Nous avions remporté la convention entreprise qui réunissait 800 personnes tous les ans. L’événement avait lieu à Reims au palais de congrès. La plénière se tenait dans l’amphi Royale, je me souviens très bien du nom et la soirée, un dîner assis, dans une salle proche de la cathédrale.

J’ai trois souvenirs très nets de cet événement. Le premier, c’est l’humour très décalé du directeur technique qui avait travaillé sur le dossier. L’un des gars les plus dôles que j’ai croisé au cours de ma vie professionnelle. À l’époque, il avait déjà une longue expérience derrière lui et des dizaines de blagues à son palmarès. Au cours du montage, je me rends dans l’amphi, accompagné de la responsable de la communication entreprises. Elle avait l’air tendue. Je lui décris ce que nous allions faire pour être au plus près de notre promesse scénographique. Je lui présente Jean-Marc, il a son air goguenard des grands jours, goguenard mais sérieux, goguenard mais concentré sur ce qu’il fait. La cliente me demande ce qu’il fait. Je lui dis qu’il est directeur technique. C’est lui qui va s’occuper de la vidéo, du son et de la lumière. Elle demande à Jean-Marc s’il a de l’expérience, si tout va bien se passer, histoire de se rassurer. Jean-Marc sourit, me jette un œil et dit « j’ai fait trois opérations, déjà, c’est pas mal ». La cliente me regarde, opine du chef. Son expression confirme, c’est pas mal, mais Jean-Marc ajoute : »je n’en ai foiré que deux sur les trois. Il n’y a rien à craindre... » Tout le monde sourit, sauf ma cliente, mais Jean-Marc lui dit immédiatement qu’il plaisante, que tout va bien se passer. Le stress vous fait parfois dérailler.

Mais cette convention m’aura laissé de bons souvenirs grâce à ma rencontre avec l’ancien directeur général de Crédit Agricole SA. Ce monsieur partait à la retraite cette année-là et il faisait la tournée des événements du groupe -dire adieu à l’ensemble du personnel de la banque, filiale par filiale. Tout à son honneur et une démarche qui mettait en évidence sa bienveillance. Cette convention a eu lieu en 2009, juste après le violent krach de 2008, plus connu sous le nom de crise des subprimes (en réalité escroquerie, il faut bien le reconnaître, dont furent victime les banques européennes)

Je me chargeai personnellement d’aller chercher M. Pauget à la gare. L’homme traîna sa valise cabine jusqu’à la berline et la confia au chauffeur avant de monter à l’arrière. J’étais assis sur la siège passager à l’avant. Je me retournai pour le saluer. Il arborait un sourire sincère et répondit volontiers à toutes mes questions de politesse. Il intervenait sur scène dans quelques minutes et je lui demandais s’il était prêt. Il éluda la question en me faisant comprendre que ce n’était pas un sujet important, que son intervention était une formalité. Il sortit une feuille de papier A4 de sa sacoche et se mit à griffonner quelques mots sans lever la tête.

« Vous savez que je viens de publier un livre ? » me dit-il sans lever les yeux de la feuille de papier sur laquelle il couchait quelques mots, sans vraiment y prêter attention.

« Non, c’est un roman ? » demandai-je en cherchant son regard dans le rétroviseur.

Il s’arrêta d’écrire et me fixa avec un large sourire.

« Pas du tout, il s’agit d’un essai. Je parle de la crise financière et de l’impact de cette crise sur nos métiers. J’essaie aussi de dissiper quelques malentendus à propos de la responsabilité des uns et des autres dans cette catastrophe. »

Je suis intéressé tout à coup. Ce monsieur pense, ce monsieur vit, ce monsieur ressent et pourtant il est à la tête de l’une des plus grandes banques du monde.

« J’ai intitulé le livre Faut-il brûler tous les banquiers ? J’aime bien le titre. Et vous ? »

Son sourire s’élargit. Je réfléchis. Que pouvais-je répondre ? À l’époque, je ne comprenais rien des mécanismes financiers, des mécaniques monétaires qui pouvaient nous sortir de l’ornière. Je ne comprenais pas ce qui avait été à l’origine de cette crise destructrice.

« C’est un titre audacieux », avais-je dit, même si je pensais provocateur.

Il a souri de plus belle et m’a dédicacé le livre.

Nous sommes arrivés au Palais des Congrès. Il a glissé la feuille A4 dans sa poche et l’a déplié devant son pupitre. Il a parlé près de deux heures devant un public conquis.

À suivre ...