L'IA VA-T-ELLE TOURNER EN ROND COMME UN RONGEUR IDIOT DANS SA CAGE ?
ÉDITO
Laurent Desjars
3/10/20254 min read


Il y a quelques mois, en mai 2023 pour être précis, le journal Le Monde publiait un article affirmant qu’il n’y avait pas à avoir peur : Malgré toutes les rumeurs et les oiseaux de mauvaise augure, l’IA générative était très loin, mais alors très très loin, d’avoir envahi internet. Un an et demi après, La Tribune s’alarmait d’une déferlante d’images générées par l’IA qui envahissait, parasitait et semait le chaos sur internet. Quelques mois plus tard, cette même IA, d’après de très sérieux journaux spécialisés, risquait, purement et simplement, de le détruire en dépréciant chaque requête, en pratiquant, sans conscience, le faux et l’usage de faux, voire en mentant ouvertement aux « prompteurs » de tous les horizons.
Convenons-en, mon introduction manque de nuances pour s’appeler « analyse » mais la caricature a le mérite de montrer une réalité et d’exposer au grand jour des questions qui se posent aux géants de la tech comme à chacun d’entre nous.
Vous savez toutes et tous de quelle manière fonctionne l’intelligence artificielle générative. Vous entrez une demande sur votre clavier grâce à vos doigts de fée, des robots (ou bots) fouinent un peu partout sur internet pour trouver la réponse qui, statistiquement (je schématise, bien entendu), correspond le mieux à ce que vous avez décrit. Et la machine vous livre, comme par magie, en quelques secondes, une image ou un texte qui vous donne l’illusion d’être un créateur, un innovateur, un graphiste, un directeur artistique, l’œil ultime, la main des anges, voire Dieu lui-même.


Son succès est indéniable et « tout le monde » l’utilise aujourd’hui. Pour fabriquer des images, pour fabriquer des vidéos, pour fabriquer des logos, des présentations Power Point, pour aller vite, pour être plus performant, pour économiser de l’argent, pour gagner en productivité… À chacun son usage. À chacun son approche.
Oui, des millions de personnes l’utilisent et c’est pourquoi ce sont dorénavant les bots qui gonflent le volume du trafic sur internet (cela représente plus de la moitié du trafic). Parce que c’est sur le net que l’IA déniche les matériaux qui lui permettent de répondre à nos questions et de nous transformer, en quelques secondes, en Hugo de carton, Matisse en plastique, Warhol en sucre ou encore en journaliste, en rédacteur, en concepteur, en tout ce qui produit du matériel intellectuel.
Et c’est là que les problèmes commencent. C’est là que les limites apparaissent à l’horizon comme autant de petits barbelés sur une prairie numérique. Internet va-t-il en effet pouvoir nourrir l’IA générative malgré son appétit d’ogre pour les données ?
Des voix se sont déjà élevées pour s’opposer au pillage en règle de leurs contenus. Trente-quatre mille artistes français, parmi lesquels Jean-Jacques Goldman, Jacques Dutronc ou encore Catherine Ringer, ont signé une tribune pour dénoncer l’utilisation non autorisée de leurs œuvres afin d’entraîner les intelligences artificielles. Des actions en justice ont également été menées par « la presse » : Radio France a bloqué l’accès d’Open AI à ses contenus pendant une longue période, des dessinatrices et des artistes graphiques ont porté plainte contre Midjourney, des banques photo se sont plainte du pillage de leurs actifs… Je pourrais citer bien d’autres exemples tant les excès sont devenus la norme.


Nous voilà donc revenus aux origines du téléchargement illégal et du peer to peer, nous voilà revenus aux annonces apocalyptiques des années 2010 et la fin de la création originale, la fin de la fiction, des maisons de disques, des studios de cinéma, des séries et des maisons d’édition. Nous voilà revenus à des fondamentaux comme la question de la propriété intellectuelle et la juste rémunération de la création. Nous voilà revenus au Far-West où tout est possible, sans foi, ni loi. Ou rien n’est plus possible, sans foi, ni loi.
Nous voilà confrontés à un problème de fond : l’IA a besoin de toujours plus de contenus pour se développer, toujours plus de data pour les dévorer et les digérer, toujours plus pour devenir toujours plus performante.
Mais il y a un sujet plus délicat, selon moi, que les problèmes de droits et d’argent. Se pose en effet la question de la création elle-même et de la place de l’Intelligence Artificielle dans le processus créatif, dans son économie, dans sa pérennité. Se dirige-t-on vers une standardisation, une uniformisation qui serait les premières pelletées de la tombe de ce que l’on appelle « création » dans le secteur de la communication ?
Face à la croissance des outils IA, les robots vont être de plus en plus nombreux à chercher de la matière première, de la chair fraîche à se mettre sous le processeur. D’autant plus si les créateurs défendent leurs droits avec davantage de force, d’autant plus si les créateurs et les créatifs remportent des victoires juridiques et qu’une jurisprudence mette fin au flou qui entoure généralement les grandes révolutions.


L’IA pourra-t-elle se nourrir de l’IA ? Les images synthétiques peuvent-elles servir de base pour générer de nouvelles images synthétiques ? L’IA peut-elle devenir un rédacteur quand les sources qui ne sont pas tombées dans le domaine public se tarissent ? L’artificiel peut-il rester intelligent sans s’appuyer sur du matériau humain ? L’IA peut-elle pratiquer le cannibalisme sans subir aucun dommage ?
L’IA va-t-elle tourner en rond et avec elle tous ceux qui se sont habitués à tant de facilité ?
L’inspiration est-elle une simple mécanique que la technologie va pouvoir répliquer ? Réponse dans quelques temps. Quand ? C’est une toute autre histoire.