ROBOTIQUE ET ÉVÉNEMENT : À LA RECHERCHE D’UN SUBTIL ÉQUILIBRE
Laurent Desjars
11/16/20257 min read


Imaginez...
« Imaginez un accueil où chaque interaction est chaleureuse et empathique. Grâce à l’IA générative, Buddy (c’est le nom d’un robot – ce qui veut dire pote en américano-anglais) crée une connexion émotionnelle instantanée avec vos visiteurs. Il peut répondre aux questions, orienter, et même fournir des recommandations personnalisées pour améliorer leur expérience. Cette approche transforme votre accueil en un espace de convivialité et d’innovation. »


J’ai lu cela récemment sur le site de Blue Frog, The Robot Company, une entreprise française (comme son nom l’indique ) de robotique intégrant l’intelligence artificielle émotionnelle. En lisant ce texte, j’ai aussitôt pensé à C3PO, le droïde bling bling et diplomate de Star Wars. Vous savez, ce grand machin doré, bavard et attachant, qui peut répondre aux questions, orienter et fournir des recommandations personnalisées... Comme ce que nous propose Blue Frog et Buddy en quelque sorte... Vous pouvez, aujourd’hui, vous payer les services de Buddy et vous pourrez, sans doute, croiser régulièrement des C3PO dans votre vie quotidienne, professionnelle ou personnelle. Il ne s’agit plus d’imagination, il s’agit de révolution. D’un changement de paradigme.
Quand j’étais enfant, j’imaginais que nous aurions des téléviseurs miniatures dans la poche, que des montres seraient suffisamment intelligentes pour nous parler, que les voitures se gareraient seules pendant que nous irions au restaurant... Je lisais beaucoup de science-fiction, mais je ne mesurais pas encore la portée de tous ces bouleversements allaient engendrer dans toutes les organisations. Tous ces objets font désormais partie de notre quotidien et de (très) nombreuses entreprises nous proposent même – déjà ? – des robots humanoïdes pour accompagner nos vies professionnelles mais également nos vies personnelles. Toutes ces machines remettent en cause la place de l’humain dans nos sociétés, dans les entreprises, dans l’organisation du travail... La liste est longue.


Blue Frog nous le promet : Buddy serait la solution idéale pour accueillir les invités d’un événement, sur les plans relationnels et expérientiels. Très bien. Néo, le robot de 1X, une entreprise norvégienne, pourrait réaliser de nombreuses tâches dont le service et le ménage, le vestiaire et la sécurité (non, pas la sécurité, en fait, parce qu’avec sa tête de mannequin pour chaussettes et ses trente kilos, Néo n’est pas crédible du tout, en fait) et bien d’autre choses encore... Néo est un bijou de technologie que l’on essaye de nous vendre (déjà ?) à vingt mille dollars pièce. Mais quel est le nombre de prestations que Néo doit effectuer pour rembourser cet investissement ? Bien entendu, Néo rencontre des problèmes techniques. Les inconnus qui se trouvent au bout des deux grosses caméras qui lui servent d’yeux posent de sérieux problèmes de vie privée dans une utilisation domestique. Mais qu’en est-il s’il s’agit d’un usage purement professionnel ? Quel est le problème ? La déontologie ? L’espionnage ? (Sourire). Oui, les robots humanoïdes rencontrent de gros problèmes. Les machines déraillent parfois. Les avancées sont empiriques. Mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils n’atteignent le niveau de C3PO. Néo et Buddy ne sont pas les seuls à vouloir s’emparer des marchés, il y a Figure 3, Hoxo et bien d’autres encore...


Depuis une trentaine d’années, la robotique a envahi les usines et tous les compartiments du quotidien. Elle s’est répandue sans bruit dans tous ce qui fait notre vie. Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’elle exécute des tâches plus difficiles, des opérations complexes comme servir un verre de vin ou entretenir une conversation. Dorénavant, la robotique reproduit des gestes et des pensées qui étaient l’apanage de l’humain. Dorénavant, la robotique a le projet, parce qu’il s’agit d’un projet, de nous remplacer dans tous les domaines. Absolument tous. La robotique a bien l’intention de devenir une industrie puissante.


L’industrie chinoise a récemment choisi de lancer Boomy, un robot humanoïde à 1200 euros, pendant leur période de solde (11/11 – 12/12) pour attirer l’attention de millions de consommateurs. Ils croient en leur modèle, ils croient dans une démocratisation qui va tirer la croissance. Et Elon Musk y croit également. Il a annoncé la mise en production d’Optimus, son robot Tesla.
Les Chinois semblent avoir une pointe d’avance. Ils ont récemment organisé des olympiades robotiques qui ont remportés un énorme succès public. Un robot chinois a pu tirer une voiture de plus de 50 fois son poids, une prouesse dans la coordination des mouvements et dans la finesse du contrôle. Nous ne comptons plus les fois où un humanoïde nous a étonné en exécutant des pirouettes, des saltos, en jouant du piano ou en jouant tout court au jeu de go ou au bowling. Et ils ne font que progresser puisque leur performance ne s’appuie plus sur des gestes programmés mais sur le désormais célèbre machine learning. Les robots chinois apprennent comme nous selon un modèle qui s’appelle WOW (World Omniscient World model). la


WOW ? Cela ne vous rappelle pas un célèbre effet ?
La robotique s’est déjà largement invitée dans les événements corporate et les événements grand public avec l’intention avérée de provoquer ce fameux effet WOW (ou WAOW !), un effet destiné avant tout à augmenter l’impact de l’expérience sur ces mêmes publics. Pour y parvenir, on demande à des robots de prendre des photos, on demande à de petits chariots « intelligents » de faire le service, certains exécutent des bonds et des sauts, exécutent des chorégraphies, ils parlent, ils chantent, parfois, ils ne font que prendre des postures, bref, ils font tout ce qu’ils peuvent pour nous étonner et nous amuser. Est-ce un effet de mode ? Est-ce que les machines vont finir par nous lasser ou n’en sommes-nous qu’au début ? Nous portons généralement un regard bienveillant, voire attendri, sur tout ce qui « fait comme nous », sur les machines et les robots qui reproduisent nos compétences (WAOW !) sur les animaux qui adoptent des comportements humains (Mignon !) mais nous avons un tout autre regard pour tout ce qui a l’intention de nous dépasser, voire de nous supplanter. Allons-nous finir par prendre en grippe les robots et les machines en constatant les ravages que peuvent produire leurs progrès fulgurants ?


Mais restons cependant lucides : l’événement, comme tous les autres secteurs économiques, est à la recherche de croissance, d’optimisation des coûts, de business model capables de pérenniser l’ensemble de l’écosystème. La robotique devient un poste d’économie, de rentabilité et de croissance. On ne paye pas de charge ni de salaire sur le travail d’une machine. Peut-être même que dans un futur proche, les agences, les entreprises, les lieux, les organisateurs d’événements en général feront l’acquisition de robots pour affiner leur rentabilité. Les robots ont d’immenses qualités. Les robots sont en pleine progression. Les robots sont WOW, pour le moment. Tout concourt donc à leur avènement dans la communication événementielle, de la phase de création à la phase de production, sur tous les postes de la phase d’exploitation. Pour le moment, la nouveauté et l’étonnement dominent encore et les robots n’occupent qu’une infime partie de l’espace de compétences mais tout est possible. Qui aurait cru que C3PO serait une (presque) réalité en 2025 ?


Mais un événement reste-t-il un événement si les machines remplacent les femmes et les hommes ? Un événement garde-t-il la même charge émotionnelle, la même chaleur, si les invités sont accueillis par des machines, de belles machines certes, d’étonnantes machines certes, mais des machines tout de même ? Un événement reste-t-il émotionnellement fort si l’animateur est un acrobate en plastique, si la chanteuse est un robot, si le photographe est un totem sur roulette ?
La question se pose.
Un événement est destiné avant tout à des femmes, à des hommes de chair et d’os, des groupes qui souhaitent partager quelque chose, un « je-ne-sais-quoi » de profond entre eux, avec une marque, avec leur entreprise. Ils veulent « vivre » leur événement et nous pourrions discuter pendant des heures de la capacité de ces machines à « vivre et faire vivre », à faire partager et préserver ce « je-ne-sais-quoi », cette vibration particulière, indéfinissable, qui rend si singulier l’acte et la pensée humaine.


Les organisateurs, les agences ont et auront besoin de performance parce qu’ils sont des entreprises avant tout, les machines seront l’un des leviers privilégiés dans le futur. Il faudra alors trouver un équilibre subtil entre humains et robots, entre émotion et étonnement, entre atmosphère rassurante et méfiance envers la technologie.
Les robots vont sans doute faire disparaître de nombreux métiers (peut-être), vont bouleverser encore un peu plus notre manière de travailler, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils vont donner (ils en donnent déjà) du travail à tous les penseurs et les philosophes de cette planète.
